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10 mai 2012 4 10 /05 /mai /2012 21:02

Guillaume Dufay, compositeur franco-flamand (1397-1474)

Répéter, comme je le fais souvent, que la musique n'a pas besoin des maisons de disques, c’est bien, encore faut-il le démontrer. J’ai écrit il y a quelques années un long article sur le sujet, mais, pour les fainéants, il existe une manière beaucoup plus simple de s’en convaincre : écouter ce petit bijou qu’est Par droit je puis bien complaindre et gémir. On a encore un pied dans le Moyen Age lorsque cette chanson a été écrite, la Renaissance n’en est qu’à ses débuts. Pas d’industrie du disque brassant des centaines de millions de dollars, pas de droits d’auteur ; on est à mille lieux de l’accumulation de savoirs, cultures, techniques et technologies de notre époque.

Et pourtant, malgré tout ce qu’on a acquis depuis, non seulement on ne fait pas mieux en matière de chansons, mais on fait quasi-systématiquement pire (et bien pire). Imaginez qu’un voyageur temporel fasse écouter à Dufay les chansons de l’apogée de notre merveilleuse industrie du disque, celles des années 1980… de quoi le décourager à vie : à quoi bon s’emmerder à composer avec tant d’intelligence et de finesse, si c’est pour que la chanson tombe si bas 5 siècles plus tard… de quoi aussi lui faire perdre instantanément tout espoir en l’homme. Nous sommes des barbares. Mais ce n’est pas incurable, pour se soigner, rien de tel que de se plonger sans modération dans cette magnifique chanson.

Je vous recommande particulièrement la très belle version (ma préférée, qui par chance est sur Youtube) d'Emmanuel Bonnardot et l’ensemble Obsidienne :

 

 

Et si jamais cela faisait naître chez certains un goût pour les chansons anciennes, je vous conseille vivement d’écouter l’ensemble italien de musiques médiévales La Reverdie, vous trouverez sur Spotify leur album Bestiarium : Animals and nature in the Middle Age, mais tous leurs disques sont vraiment de grande qualité. C’est d’ailleurs grâce à eux que je me suis intéressé il y a de nombreuses années à la musique du Moyen Age, alors qu’elle m’indifférait auparavant. Pour la petite histoire, c’est à la même période, fin des années 90, que je me suis pris de passion pour le rap US… j’aime les grands écarts.

 

A lire : l'article de Lou 

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6 janvier 2012 5 06 /01 /janvier /2012 22:14

Pour bien commencer l’année… une des chansons les plus tristes, désespérées, sombres et dures de l’histoire. Il ne s’agit pas de rap, de rock ni de protest-song, mais bien d’une chanson datant de plus d’un siècle, écrite par Jules Jouy et mise en musique par Gustave Goublier. Chanson de révolte sur la condition féminine et la condition ouvrière, Filles d’Ouvriers est aussi radicale dans le constat que dans le moyen de s’en sortir : prendre les armes et fusiller les patrons.

A côté, les textes des morceaux de rap actuels qui font polémique ont, pour la plupart, l’air bien sages. L’occasion de rappeler que la subversion, la révolte ou l’engagement dans les chansons  remontent loin, très loin, contrairement à ce que pensent certains pour lesquels Dylan, le rock et la contre-culture 60’s ont « inventé » les chansons rebelles et engagées. Il est toujours bon de se replonger dans l’histoire de la musique pour relativiser la subversion du rock et du rap…

Filles d’Ouvriers n’est pas qu’une chanson forte, c’est aussi une très belle chanson. L’alliance du texte et de la musique en fait une des chansons les plus poignantes qui soient. Et l’interprétation de Michelle Bernard, dans la version ci-dessous, est parfaite :

 

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5 octobre 2011 3 05 /10 /octobre /2011 18:31

Ecrite par Eden Abhez en 1947, Nature Boy est sans nul doute une des plus belles chansons du XX° siècle. Elle est rapidement devenue un standard du jazz, les plus grands artistes ont fait leur « Nature Boy » : de Nat King Cole à Abbey Lincoln en passant par Miles Davis, Sinatra, Coltrane, Stan Getz, Art Pepper, Caetano Veloso, Marvin Gaye, Ella Fitzgerald ou James Brown pour n’en citer que quelques-uns.

Pour le (re-)découvrir, je vous conseille la célèbre version de Nat King Cole :

 

 

 

 

Le pouvoir de séduction de Nature Boy est tel que vous pouvez l’écouter et la réécouter sans lassitude, avec toujours autant de plaisir, l’occasion de vous proposer dans la foulée plusieurs versions qui valent le détour :

 

- Une première playlist dans laquelle vous pourrez piocher, avec de grands noms du jazz et de la chanson. Trois illustres chanteuses : Ella Fitzgerald (accompagnée par Joe Pass), Sarah Vaughan et Abbey Lincoln, puis, en jazz instrumental, les non-moins illustres Miles Davis, John Coltrane, Art Pepper et Stan Getz, enfin, Sinatra, Peggy Lee, Caetano Veloso, Marvin Gaye et James Brown :

 

 

 

Une version cubaine :

 

 

La version funky de George Benson :

 

 

 

Parmi les chanteurs de jazz actuels, Peter Cincotti, qui utilise le Fool on The Hill des Beatles comme intro :

 

   

Et une de mes favorites, celle d’Harry Connick Jr, qui mérite qu’on y jette une oreille rien que pour le remarquable travail d’orchestration :

 

 

Un modèle dans le genre, à faire écouter à tous ceux qui s’intéresseraient à l’orchestration de chansons…

 

 

Une curiosité, celle du groupe psychédélique Gandalf... enregistrée en 1967, sur leur unique album qui ne sortira qu’en 1969. Une version vraiment pas si mal, malgré le solo de guitare :

 

 

 

Mais venons-en à celle qui m’a décidé à écrire cet article… la version de Bowie et Massive Attack. A priori, il y a de quoi avoir des réserves… des musiciens pop ou rock qui reprennent des morceaux jazz, c’est rarement bon signe. Le jazz, lui, s’est très souvent emparé de chansons populaires, de chansons de comédies musicales pour les transcender, leur apporter finesse, swing et complexité. Le chemin inverse, par contre, a tout d’une régression… des morceaux jazz qui redeviennent de vulgaires chansonnettes. On perd la souplesse du swing et la richesse musicale, le carosse redevient citrouille, la princesse redevient grenouille. C’est la douloureuse impression que l’on a à chaque fois qu’un artiste de variétoche, en particulier, reprend un standard du jazz. Bowie et Massive Attack ne sont pas des artistes de variétoche, évidemment, mais ce ne sont pas des jazzmen pour autant.

 

Pire, ici, leur version de Nature Boy se trouve sur la BO de… Moulin Rouge ! Film kitchissime et pompeux comme pas deux (bon, j’avoue que je ne l’ai pas vu, mais les extraits sont suffisamment éloquents)…de quoi craindre qu’il n’y ait plus rien du charme, de la subtile mélancolie et de la délicatesse du Nature Boy que nous ont donné à entendre les jazzmen. Et pourtant, malgré tout cela, Bowie et Massive Attack parviennent à leur tour à transcender ce titre, et à en faire une grande version. Une version très éloignée de ce qui se faisait jusqu’alors, une musique froide et planante, mais une version qui fonctionne à merveille.

  

  

 

 

Pourquoi est-ce que cette version fonctionne ? Cela tient aux styles de Bowie et de Massive Attack. S’il y a bien un chanteur rock/pop capable de s’emparer d’un morceau jazz sans être ridicule, c’est Bowie. Non pas que sa musique et son chant soient « jazzy », mais, par certains côtés, ils tiennent plus du jazz que de la pop. A part la rythmicité, le swing, qu’est-ce qui différencie une mélodie pop « de base » d’une mélodie jazz ? La mélodie jazz sera plus alambiquée, sinueuse, intègrera plus facilement de grands sauts d’intervalles et des dissonances. Les mélodies typiques de chansons ont en général un ambitus (l’écart entre la note la plus basse et la plus haute) plus réduit, modulent moins, bref, sont plus simplistes. On trouve bien sûr quelques mélodies assez simples dans certains tubes de Bowie, mais il reste tout de même un des artistes pop/rock aux mélodies les plus riches et audacieuses.

C’est évident sur un morceau tel que A Small Plot of Land. Ce n’est pas du jazz, mais dans les dissonances de la mélodie, ça en a l’esprit.

 

Il n’est même pas besoin d’aller chercher dans ses morceaux les plus avant-gardistes. La plupart des chansons de Bowie ont une qualité mélodique nettement supérieure à la moyenne. Non pas pour leur efficacité ou leur séduction, ce qui reste plus compliqué à évaluer « objectivement », mais pour leur richesse (plus de notes, plus de dissonances, plus de grands écarts entre les notes). Pas étonnant qu’il soit aussi saxophoniste et se soit intéressé très jeune au jazz… Sur une mélodie comme celle de Nature Boy, il est donc comme un poisson dans l’eau.

 

Le style de Massive Attack est fait d’influences hip-hop, ambient, électro et cold-wave, pas d’influences jazz. Leur univers froid, paranoïaque est planant est presque à l’opposé du jazz, du moins de l’âge d’or du jazz au style chaleureux, physique, virtuose et terrien. Réorchestrer un standard jazz avec des sons électro pourrait passer aux oreilles des puristes pour de l’hérésie, les machines n’ayant pas cette souplesse de jeu qui fait tout le swing du jazz… Et si, depuis les années 90, des jazzmen ont utilisé l’électro (Molvaer, Wesseltoft, Truffaz etc…) c’est pour inventer un autre style de jazz. Mais ce pourquoi Massive Attack arrive ici à faire quelque chose d’intéressant, là où d’autres grands noms de l’électro se seraient sans doute plantés, c’est parce qu’ils jouent à merveille sur ce qu’ils maîtrisent à la perfection : la lenteur, le balancement hypnotique.

Un standard du jazz avec le groove entraînant de la soul, du funk ou du rap, on y perd en finesse. Il n’y a qu’à écouter la version de George Benson ci-dessus pour s’en convaincre. Avec une rythmique plus lente et très appuyée, de style dub, même problème. Par contre, avec Massive Attack (et en particulier le Massive Attack période Mezzanine), il y a un « terrain rythmique » nettement plus propice… La lenteur du tempo associée au caractère planant des sons apporte cette subtilité dont a besoin le jazz… On sent le balancement, mais on ne sent pas que ça, il n’est pas aussi imposant que dans le rap, la soul, le funk ou le dub.

Autre bel exercice d’équilibriste sur cette version de Nature Boy : arriver à faire passer la chanson de « jolie ballade délicate et mélancolique » à morceau « inquiétant et tétanisant »… sans perdre le côté délicat et mélancolique ! Il ne s’agit pas d’un simple exercice de style, comme pourrait le faire un musicien qui reprendrait tel tube mielleux et le transformerait en morceau violent et barré, mais d’ajouter une nouvelle dimension à cette chanson. Et qui mieux que Massive Attack pouvait allier froide noirceur et rêverie cotonneuse pour donner à Nature Boy cette nouvelle dimension sans le trahir.

 

Voilà donc pourquoi, à mon sens, cette version est tout simplement une des meilleures de Nature Boy. On se demande même comment elle a pu être mêlée à ce film pompier… mais au niveau de kitsch dans lequel se trouve Moulin Rouge, sans doute que n’importe quoi d’autre aurait pu s’intégrer.

 

Nature Boy a ainsi traversé les époques, les styles… et même bien plus qu’on l’imagine, puisqu’au fond, la base du thème de cette chanson se retrouve déjà, en 1887, dans le 2° mouvement du quartette pour piano n°2 en la majeur de Dvorak.

Certains pensent, à tort, que la musique classique et la musique populaire sont des univers qui ne se recoupent pas… mais ce 2° mouvement s’intitule « Dumka » (un type de chant et danse traditionnel ukrainien dont il s’inspire), puis ce thème de Dvorak est, en quelque sorte, devenu le Nature Boy que l’on connaît.

 

Dvorak – 2° mvt du Quintette pour piano n°2 en la M (op. 81)

 

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