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Classements d'albums

13 janvier 2014 1 13 /01 /janvier /2014 20:38

John_Zorn_Dreamachines.jpgAvant de vous proposer le bilan de l’année passée, il me fallait dire un mot de Dreamachines, un des tous meilleurs albums de 2013 par un des plus illustres musiciens de ces dernières décennies : John Zorn, saxophoniste, clarinettiste et compositeur new yorkais.

 

 

 

 

 

 

Zorn ou l’art de la rupture…

 

Chez Zorn, la rupture est à tous les niveaux. Dans le mélange des genres, souvent déroutant : jazz, punk, musique classique contemporaine, musiques du monde (klezmer en particulier), musique expérimentale, death metal (par exemple dans sa formation « Naked City », avec un autre grand iconoclaste : Mike Patton), ou encore musiques de films. Des genres qui peuvent coexister au sein de mêmes albums ou donner lieu à des projets très différents les uns des autres. Ruptures, aussi, dans son jeu et son travail compositionnel, par de multiples breaks et changements brusques. Un « art du collage », en quelque sorte… On ne s’étonnera pas de ce que son dernier album ait été influencé par le travail de William Burroughs. Et pourtant, il est particulièrement fluide et homogène pour du Zorn (mis à part, peut-être, le premier morceau et le dernier).

 

D’un point de vue très personnel : ruptures, aussi, dans mes appréciations de ses œuvres. Zorn me fascine autant qu’il peut, de temps en temps, m’irriter ou m’ennuyer, parfois au sein d’un même morceau… La grande homogénéité de ce nouvel album n’est sans doute pas étrangère au fait que je le trouve particulièrement réussi ; l’homogénéité d’une œuvre musicale m’importe bien plus que sa diversité.  

 

Zorn a composé et produit l’album, mais il n’y joue pas, laissant l’interprétation à un quatuor d’une musicalité et d’une maîtrise exceptionnelles :

 

John Medeski - piano

Kenny Wollesen - vibraphone

Trevor Dunn - basse

Joey Baron - batterie


 

De la composition à l’interprétation en passant par la prise de son, tout est réuni pour faire de Dreamachines un grand album, et un des meilleurs albums jazz de ces dernières années.

 

Si ce n’est déjà fait, je vous conseille évidemment de vous plonger au plus vite dans ce dernier John Zorn, mais si vous n’êtes pas un amateur de jazz (ou de Zorn), écoutez au moins The Conqueror Worm, qui n’est autre, pour moi, que le meilleur morceau de l’an dernier :


 

Vibraphone onirique et mystérieux, riff entêtant, thème orientalisant et très belle montée en puissance : un morceau véritablement extatique…


L’album en écoute sur grooveshark : John Zorn - Dreamachines

 

A lire sur wikipedia :

John Zorn

Dreamachines


Dreamachines dans le Classement des albums 2013

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 18:39

Cela fait maintenant des semaines que j’entends en boucle des éditorialistes, politiques et journalistes répéter que la « quenelle » de Dieudonné serait un salut nazi inversé, donc un symbole antisémite. Curieuse interprétation. La première fois que je l’ai entendue, je me suis dit : c’est un journaliste pas très malin qui, dans « symbole inversé », ne comprend pas le sens du mot « inversé », on va très vite le corriger et mettre fin à cette polémique inutile. Mais les jours passent, et cette interprétation est reprise partout, sans que personne ne semble questionner réellement le caractère « inversé » du symbole.  

Les deux symboles inversés les plus célèbres sont sans doute :

1.      La croix inversée. La croix est LE symbole chrétien, la croix inversée est LE symbole anti-chrétien, et même satanique.

 

2.      Le pentagramme. A l’endroit, c’est le « bien », la pointe vers le haut représente l’élévation spirituelle.

 

pentagramme-1-copie-1.jpg

 A l’envers, c’est la mal, la pointe est vers le bas (la terre), signe de matérialisme : 

pentagramme-2.jpg

      Il donne ainsi l’impression d’avoir deux cornes, celles du bouc, du diable. Ce qui en fait un autre signe satanique.  

Pas besoin d’être un féru d’ésotérisme pour le savoir, ni d’être particulièrement cultivé, n’importe quel ado vaguement gothique ou fan de metal comprend le sens de l’inversion d’un symbole.

On est là dans la logique la plus élémentaire : inverser un symbole, c’est signifier l’inverse de ce que dit ce symbole. Donc, toujours dans une logique accessible à n’importe quel individu ayant atteint l’âge de raison, le salut nazi inversé symbolise l’inverse du salut nazi, un « salut antinazi », ou un « anti-salut nazi ».

Rien ne prouve que la « quenelle » de Dieudonné soit liée au salut nazi. Et si jamais elle l’était, elle ne serait, d’un point de vue purement symbolique, qu’un signe antinazi. Mais bizarrement, cette interprétation tout ce qu’il y a de plus logique, on ne l’entend pas dans les médias. Je dis « bizarrement » pour la forme, car au fond, il est là encore très logique qu’on refuse de prendre en compte cette dimension. Parce qu’il est plus intéressant, excitant et vendeur de laisser se propager l’idée que ce prétendu « salut nazi inversé » soit un signe antisémite. Et tant pis pour le sens des symboles. Car si les symboles ont un sens, leur inversion aussi en a un. Le meilleur moyen, sans doute, d’emmerder les antisémites qui utilisent ce signe aurait été d’appuyer l’idée qu’en tant que « symbole nazi inversé », s’ils l’utilisent en face d’une synagogue ou d’une école juive, symboliquement, ils ne font que manifester leur hostilité au nazisme par cet « anti-salut nazi ».

Nous sommes dans une société qui sur-interprète beaucoup trop les signes et les discours. Car si la référence au salut nazi est totalement hypothétique dans cette fameuse « quenelle », ce qui ne l’est pas, c’est son sens initial, limpide, qui signifie « je vous la mets bien profond », point barre. C’est du même ordre qu’un bras d’honneur. Le salut nazi est un signe de respect au chef et à l’idéologie nazi, la « quenelle » de Dieudonné est fondamentalement un signe d’irrespect. Qui n’a rien de réservé aux juifs, il l’utilise, de ce que j’ai pu voir, régulièrement contre Hollande. La « chasse aux quenelles » qui est en cours est donc particulièrement ridicule. Que l’Etat français accorde une telle importance à ce geste, que la république se sente menacée parce que des petits malins (ou de gros abrutis, c’est au choix) se prennent en photos en exécutant une quenelle, c’est complètement disproportionné, et ça ne pourra que rendre Dieudonné plus populaire (je n’ose imaginer le nombre d’ados qui vont s’amuser, à l’école et ailleurs, à faire ce geste… mais Valls n’a semble-t-il jamais été ado pour ne pas se rendre compte qu’il fait la meilleure publicité possible pour la quenelle auprès des jeunes).

Je ne suis pas un sympathisant de Dieudonné, mais je suis pour la liberté d’expression la plus large possible. La vraie, hein, pas uniquement celle qui consiste à laisser les gens exprimer ce qui va dans le sens de la morale et de l’idéologie de l’époque. La liberté d’expression n’a de sens que si l’on accepte que des propos dérangeants, détestables et choquants puissent être tenus sans encourir les foudres de la justice. Le prix de la démocratie et de la liberté d’expression, c’est qu’il faut accepter que soient exprimées dans notre société des opinions qui vont totalement à l’encontre de l’opinion et de la morale dominantes, et capables de nous choquer considérablement. Je ne vois que deux exceptions à la liberté d’expression (la vraie) :

-          La diffusion publique d’informations d’ordre privé

-          L’appel à la violence

Et encore, même l’appel à la violence peut être acceptable, dans un cadre artistique. Par exemple dans cette très belle chanson de 1898 à laquelle j’avais consacré un article : Filles d’Ouvriers (écoutez-là, elle vaut le détour). Une chanson féministe et violemment anti-capitaliste, écrite par Jules Jouy (qui était aussi un antisémite notoire… décidément, ils sont partout…) Je vous laisse juger de la violence de la fin, un appel au meurtre des patrons :   

Patrons, tas d'héliogabales, d'effroi saisis,

Quand vous tomberez sous nos balles,

Chair à fusils,

Pour que chaque chien, sur vos trognes,

Pissent à l'écart,

Nous leur laisserons vos charognes,

Chairs à Macquart !

Faut-il interdire sa diffusion au motif qu’elle incite à la haine, et va jusqu’à légitimer l’assassinat des patrons ? Ou que son auteur a aussi écrit des chansons antisémites ? J’espère bien que non…  

Condamner un individu pour « incitation à la haine », même raciale, je n’ai jamais été pour… car où est la limite ? Tout propos virulent, engagé, pamphlétaire, radical, provocateur peut être perçu comme incitant à la haine. S’il fallait censurer toutes les œuvres capables d'inciter à la haine, on n’en finirait pas, faudrait purger les bibliothèques, discothèques et cinémathèques…

Le rock a été accusé de tous les maux : perversion des mœurs et de la jeunesse, apologie de la drogue, satanisme, il a utilisé des symboles nazis… et même pas inversés (j’en parlais dans mon article sur Joy Division). Le metal n’a cessé de jouer avec les signes et références « haineuses » (sataniques, morbides et mêmes - là encore - nazies). Le rap a été accusé maintes fois d’appel à la violence, à la révolte, d’homophobie, de sexisme, apologie du crime et de la vie de gangster, et accusé parfois d’antisémitisme (Professor Griff de Public Enemy est sans doute l’exemple le plus célèbre). Faudra-t-il un jour qu’un comité se réunisse pour interdire tous les artistes dont les textes sont susceptibles d’être perçus comme des incitations à la haine ? Il nous restera quoi ? You’re beautiful de James Blunt ? (ça doit être ça, l’enfer… quand j’entends cette horrible rengaine, j’ai de terribles envies de meurtre, sera-t-il aussi possible de la censurer ?)  

Plus sérieusement, la liberté d’expression, ce n’est pas que Dieudonné ait le droit de faire Vivement Dimanche et s’installe dans le canapé de Michel Drucker pour y dire ce qu’il pense d’Israël et des juifs en général, avec pour invités Soral et Faurisson. C’est juste d’accepter que puissent être tenus dans nos sociétés des propos virulents, subversifs et dérangeants, de quelque bord qu’ils soient...

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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 20:05

Pour bien commencer cette nouvelle année… retournons un siècle en arrière. En 1914, Scriabine (j’ai déjà parlé de l'Etude op.8 n°12) compose une de ses dernières œuvres, et une de ses plus fascinantes, la pièce pour piano Vers la Flamme. Il est possible que 2014 soit aussi l’année du centenaire de quelques événements historiques d’importance, mais on ne se refait pas : pour moi, c’est avant tout l’année du centenaire de Vers la Flamme.    

Cette œuvre n’est certes pas une des plus faciles et accessibles du répertoire classique. Cette œuvre n’est certes pas la plus joyeuse, sexy ou funky pour vous souhaiter une bonne année... mais si vous êtes familier de ces pages, vous ne vous attendiez tout de même pas à ce que je débute cette nouvelle année par du Daft Punk, non ? (dans un siècle, qui se souviendra de Daft Punk ?)

La flamme dont il est ici question n’est bien évidemment pas celle d’un joli petit feu de cheminée… Scriabine, compositeur très mystique, a eu une « vision apocalyptique », voyant, selon ses propres termes, des « flammes cosmiques » se fondre dans « l’embrasement final de l’univers ». L’œuvre idéale, donc, pour bien débuter l’année… je ne suis pas parano, mais bon, si l’on parvient à terminer 2014 en évitant « l’embrasement final de l’univers », ce ne sera déjà pas si mal…

Vers la Flamme ne sera sans doute jamais un des "tubes" de la musique classique, mais c’est un chef-d’œuvre incontestable, une œuvre remarquable de cohérence, d’architecture, d’intelligence, de puissance expressive. Elle débute de manière très contemplative, presque désolée, avec ses accords lents et son thème hésitant. Puis, comme un feu qui commence à prendre, son mouvement s’accélère, pour amener à la dernière partie, d’une grande intensité, avec tremolo, trilles (notes alternées jouées très rapidement), et accords percussifs.

Trois versions de l’œuvre, commençons par une des versions de référence, celle de John Ogdon :

Scriabin – Vers la Flamme, op. 72

 

En écoutant des vingtaines de versions sur youtube, j’en ai découvert une qui m’a particulièrement plu, celle de Charles Richard-Hamelin :  

 

J’aurais pu débuter par une des plus acclamées, celle du grand Vladimir Horowitz (une de ses dernières apparitions), mais je ne voulais que vous la découvriez en regardant un pianiste jouer… parce que cela risquait de vous faire passer à côté d’une part de sa force poétique et d’être plutôt absorbé par la technique et la virtuosité pianistique. Mais si vous la connaissez, ou si vous avez entendu une des deux pérécédentes, je ne peux que vous conseiller de la voir aussi interprétée par Horowitz :  

Vladimir Horowitz – Vers la Flamme  

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